La confédération FO retient de l’intervention du président de la République que pour l’heure, la consigne au confinement le plus strict demeure et cela jusqu’au 11 mai.
Les quelques signes de ralentissement de la progression de l’épidémie demandent la plus grande prudence, avait d’ailleurs souligné le Premier ministre lors de la réunion en téléconférence vendredi 10 mars.
La référence aux secteurs qui « doivent pouvoir produire et l’ont largement fait depuis un mois » doit être interprétée, selon FO, comme la nécessité de se concentrer sur les activités essentielles.
Cela va, a contrario des pressions, à une reprise aussi vite que possible des activités non indispensables et au « travailler plus ». Or, dans ses échanges permanents avec ses syndicats dans les départements et divers secteurs d’activité, FO constate que cette pression se fait plus prégnante tant de la part d’employeurs que des pouvoirs publics.
En effet, en l’absence de traitement et de vaccins, et tant que demeure présente l’épidémie, privilégier la santé de la population exige d’abord de s’assurer de la mise en œuvre des moyens de protection suffisants et d’organisations du travail assurant le respect strict des gestes barrières.
Cela pose, à nouveau la question des masques, gants, blouses, procédés de désinfection réguliers, des tests et de leurs usages, qui, n’étant pas résolue aujourd’hui, sera plus grande encore le moment venu d’une reprise. FO estime qu’une reprise ne pourra être que progressive et répondant à des impératifs qui ne peuvent plus être ceux des profits à tout prix, et surtout pas au risque de la santé.
Ces conditions sont posées spécifiquement dans un environnement, lui-même particulier et complexe, qui est celui de l’école où la santé, tant des enfants, des parents que des personnels enseignants et non enseignants, doit être la priorité.
FO a aussi soulevé, encore ce mardi, lors d’une réunion avec la ministre du Travail, les questions que poseront les moyens de transports en commun et de restauration collective.
FO estime en conséquence que l’objectif que « le 11 mai, il s’agira de permettre au plus grand nombre de retourner travailler » soulève beaucoup de questions, aujourd’hui sans réponses concrètes. Avec l’ensemble des fédérations, unions départementales et syndicats, FO sera particulièrement vigilante, comme elle l’est depuis le début de la crise sanitaire, pour que la priorité à la santé l’emporte systématiquement.
Encore une fois, FO tient à balayer le cliché de salariés se complaisant dans le confinement et l’activité partielle, ou celui de l’irresponsabilité vis-à-vis des conséquences économiques qui seront autant de conséquences pour l’emploi. Nombre des salariés en activité partielle, en dessous du salaire médian mensuel (1750 € net), ont vu leur paie amputée de 15 à 20% et par conséquent sont confrontés à des fins de mois difficiles, inquiets pour leur emploi demain, et plus encore pour leur santé. Nombre de salariés sont en télétravail dans des conditions non préparées, et beaucoup dans un environnement demandant d’associer travail à distance et aide à l’éducation des enfants. Nombre d’intérimaires, CDD non renouvelés, demandeurs d’emploi sont sans perspective immédiate.
Quant aux décisions du Conseil des ministres, FO note avec satisfaction les dispositions concernant la prolongation et l’élargissement de l’activité partielle, l’augmentation de la garantie de l’Etat sur le financement de l’Unedic, en cohérence avec le prolongement du confinement. FO prend acte de l’aide exceptionnelle, en faveur d’une aide « pour les plus fragiles et démunis », allocataires RSA et ASS et bénéficiaires APL qui ont des enfants, cependant trop modeste.
Le décret actant le report de la dégressivité de l’allocation chômage et la noninclusion de la période de confinement dans le calcul des droits est également le résultat des interventions des syndicats. Mais ces mesures ignorent ceux qui étaient en fin de droits avant la fin du mois de mars, recalés par la réforme de novembre faute d’avoir travaillé six mois pour prétendre à une indemnisation.
Cela démontre, s’il en était encore besoin, la nécessité de l’abandon de la réforme de l’assurance chômage décrétée par le gouvernement et le retour aux dispositions de la convention négociée en 2017.
FO souligne que les dispositions visant à raccourcir tous les délais de procédure indispensables à l’entrée en vigueur des accords collectifs peuvent sembler utiles dans le contexte actuel. Mais le champ des accords visés par cette dérogation est très large et peut représenter un risque dans la mesure où un grand nombre de thèmes pourraient en faire l’objet. Qui plus est, en cas d’accord minoritaire, si un referendum est organisé, nos syndicats auront peu de temps pour alerter les salariés concernés sur les impacts de l’accord
Dans la Fonction publique, FO ne peut que déplorer et contester l’annonce des décisions relatives à l’imposition de jours de congés et de repos compensateurs sans même une concertation avec les organisations syndicales, contrairement à ce qui est exigé dans le secteur privé où une négociation et un accord sont requis. FO ne peut que déplorer une telle attitude du gouvernement quand le président semblait reconnaître lundi dernier l’engagement des fonctionnaires.
FO attend enfin que se concrétisent effectivement les propos du président de la République concernant le système de santé, l’hôpital en particulier, la reconnaissance et l’inversion des valeurs des métiers très souvent en bas de l’échelle et particulièrement mobilisés aujourd’hui.
Paris, le 15 avril 2020
Yves Veyrier (FO) : « Un système de protection sociale n’est pas un coût, c’est une richesse »
Quelles seront les conséquences sociales de la crise du coronavirus ? Entretien avec Yves Veyrier, secrétaire général du syndicat Force ouvrière (FO).
Par Baptiste Legrand Publié le 11 avril 2020 à 10h00
La crise sanitaire est aussi une crise économique et sociale. L’épidémie de coronavirus a plongé la France en récession et nul ne sait comment l’activité repartira. Quelles seront les conséquences pour les travailleurs ? « L’Obs » a interrogé les principaux responsables syndicaux. Entretien avec Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière (FO).
Lorsque la catastrophe sanitaire due à la pandémie de Covid-19 sera enfin derrière nous, il faudra encore faire face à ses conséquences économiques et sociales… Comment anticipez-vous ce moment ?
La crise aura d’abord révélé que nos sociétés modernes ne sont pas à l’abri et qu’il nous faut revoir la façon dont on considère nos politiques de santé, en les considérant non pas à travers un prisme économique, mais humanitaire. Il faut soigner « quoi qu’il en coûte », c’est certain, mais en permanence, et non pas seulement le temps d’une crise. Cela implique de revenir sur les choix politiques de ces trente dernières années obsédées par le coût budgétaire de la santé et la transformant en bien de consommation. La santé, c’est un bien public, ce n’est pas un marché. On le constate aussi dans les Ehpad, où il existe beaucoup de structures privées, profitables, mais dont la qualité est inégale.
Et au-delà du secteur de la santé ?
Nous voyons bien qu’il est impossible de faire face à la crise sanitaire sans mobiliser l’ensemble des services publics. Les travailleurs des régimes spéciaux ont été trop souvent stigmatisés, mais heureusement qu’ils sont là pour garantir l’approvisionnement énergétique, à commencer pour les hôpitaux !
On s’aperçoit aussi de l’importance des femmes de ménages, des gardes d’enfants, de personnes âgées ou handicapées, tous ces services à la personne… Sans eux, sans cette aide, payée au smic et à temps partiel, les jeunes cadres dynamiques ne peuvent pas exercer leurs professions aux rémunérations bien plus élevées. Ce sont des métiers indispensables – et nous le disions bien avant la crise sanitaire – qui ont plus d’importance, par exemple, qu’un trader sur les marchés financiers.
Ces métiers doivent être reconsidérés, ce qui suppose d’investir en termes de formation et de qualification, au niveau des exigences qu’ils requièrent, et les rémunérer à la hauteur. Il y a aussi tous les métiers de services sous-traités (nettoyage, sécurité), les transports et la manutention, les caissières…
Cela suppose d’accepter un coût supplémentaire ? Un particulier doit mieux rémunérer sa femme de ménage ?
Ce n’est pas un coût dès lors que cela passe par une révision de notre modèle économique. Car on fait face à la crise sanitaire aujourd’hui… mais il y a aussi une crise environnementale et climatique ! Il faut revoir notre modèle en faisant en sorte que la justice sociale en soit l’objectif principal.
Faut-il revoir notre modèle économique ?
Je pense bien sûr à la relocalisation de la production, mais ce n’est pas le seul enjeu. Il faut faire en sorte que l’organisation de l’économie mondiale ne s’appuie pas sur la recherche du moindre coût du travail. Cela passe par des normes. C’est après une autre grande crise, la Première Guerre mondiale, que nous avons créé l’OIT (Organisation internationale du Travail). Et c’est ainsi qu’il y a cent ans, a été établie la semaine de 48 heures – j’ai d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler à Emmanuel Macron alors que le gouvernement voudrait faire travailler de façon dérogatoire jusqu’à 60 heures par semaine. Nous pensons que le progrès et la justice sociale se gagnent de façon coordonnée au niveau international, ce n’est pas accessoire, et c’est pour cela que FO est engagée depuis toujours aux niveaux européen et international.
Il faut aussi préserver les protections sociales là où elles existent, et d’abord en France. C’est un combat que mènent les syndicats depuis longtemps. En France, on ne sélectionne pas la personne qu’on soigne en fonction de sa carte bancaire ! Un système de protection sociale n’est pas un coût, c’est une richesse.
On peut vous reconnaître une certaine constance dans vos propos… mais jusqu’à présent vous avez été peu entendu !
Ça dépend ! Prenons la question des retraites. On a mobilisé beaucoup de monde. On a fini par convaincre les Français qu’il faut cesser de faire des réformes dont le seul but serait de réaliser des économies sur le dos des gens. J’espère que le gouvernement va abandonner son projet de retraite universelle par points, tout comme j’espère qu’on va revenir sur la réforme de l’assurance chômage.
Et si la crise sanitaire dure pendant des mois ? S’il faut rester confinés, si les entreprises s’effondrent et que la dette publique explose ? Quel est le scénario de sortie de crise que vous redoutez ?
Le scénario noir, c’est qu’on revienne comme avant, business as usual. Notre rôle d’organisation syndicale, c’est de veiller à ce que cela ne se produise pas. On a été lanceur d’alerte. Même si l’on n’a pas toujours été entendu, on a freiné des évolutions qui nous auraient mis dans des situations encore bien pires. On demeurera intransigeants sur le terrain qui est le nôtre, qui est de représenter les salariés et leurs intérêts. Ça vaut pour la protection sociale, les services publics, les conditions de travail, les rémunérations, la redistribution des richesses produites par l’économie.
C’est pour cela qu’on a prévenu qu’il n’était pas concevable que les grandes sociétés continuent à distribuer des dividendes. On a été insuffisamment entendus. C’est aussi pour cela que nous appelons à une réforme fiscale pour une plus grande progressivité de l’impôt pour mieux redistribuer les richesses. Nous militons aussi pour limiter la spéculation boursière et rediriger les richesses vers l’économie réelle via la taxation des transactions financières.
J’espère qu’on y parviendra. On a créé l’OIT après la Première Guerre mondiale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on a bâti la Sécurité sociale. J’espère qu’au lendemain de cette crise, on reviendra à d’autres considérations que les seules considérations économiques et financières. Il n’y a pas de raison d’arrêter le progrès social.