Yves Veyrier, le secrétaire général de la confédération syndicale Force ouvrière, déplore, dans une tribune au « Monde », le manque d’écoute dont le gouvernement fait preuve à l’égard des syndicats. Ces derniers n’ont pas attendu la crise des « gilets jaunes » et le grand débat pour porter des revendications sur les grands thèmes qui y figurent.
FO a toujours pris garde de toute tentative ou forme d’instrumentalisation ou d’association qui mettrait en cause son indépendance
Tribune. Le 9 octobre 2018, à l’appel d’organisations syndicales, dont Force ouvrière (FO), le ministère de l’intérieur avait compté plus de 160 000 manifestants dans toute la France. Des hommes et des femmes, engagés dans les syndicats ou simplement salariés de la grande distribution, de l’industrie, enseignants, personnels de la petite enfance, de la santé et du médico-social, des hôpitaux et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), retraités aussi, qui soutenaient l’augmentation des salaires et des pensions et le besoin de services publics.
Mais le gouvernement a semblé faire sienne la formule d’un précédent président de la République [Nicolas Sarkozy, en 2008] – « Désormais, quand il y a une grève en France,personne ne s’en aperçoit » –, ajoutant au manque d’écoute et de considération accordées à l’expression syndicale et au dialogue social qui avait déjà prévalu avant lui.
Or, un mois plus tard, le mouvement des « gilets jaunes » est parti des tensions sur le pouvoir d’achat, et plus particulièrement la hausse du coût du transport pour se rendre au travail ou se déplacer quand les services publics ne sont plus là et quand les commerces désertent les bourgs et centres-villes. Au-delà de mesures d’urgence, dont FO a eu l’occasion de dire qu’elles ne répondaient pas à ce qui lui paraissait nécessaire sur le smic et les salaires et pensions de façon plus générale, l’autre réponse du gouvernement est, aujourd’hui, celle du grand débat national.
Ce grand débat relève de la responsabilité des pouvoirs publics qui en ont pris la décision et il s’adresse aux citoyens. Au premier ministre, qui a rencontré les interlocuteurs sociaux au moment de son lancement, nous avons dit que FO n’en serait ni organisatrice ni coorganisatrice. FO a toujours pris garde à toute tentative ou forme d’instrumentalisation ou d’association qui mettrait en cause son indépendance. Force est de constater que nous avons eu raison de nous préserver.
Immigration et laïcité
On voit ainsi revenir le sujet de l’immigration, alors que, consultés par la Commission nationale du débat public (CNDP), les syndicats avaient mis en garde sur le risque d’introduire ce thème et compris qu’il ne figurerait pas. Ce sujet, avec d’autres, comme celui de la laïcité, demande de demeurer porté par la démocratie représentative dans le cadre des institutions républicaines.
Nous sommes aussi interrogatifs quant à la question ouverte par le président de la République associant Sénat et Conseil économique, social et environnemental (CESE). Faut-il rappeler que la seule fois où FO s’est positionnée sur un vote politique fut, en 1969, contre le référendum qui entendait fusionner ces deux assemblées, conduisant de facto à vouloir transformer les syndicats en colégislateurs, ce que nous avons toujours refusé ?
On voit aussi venir le sujet de l’assurance-chômage, au risque, cette fois, de mettre sous tutelle du grand débat la négociation collective, dont un principe fondamental, énoncé par l’Organisation internationale du travail (OIT), est celui de la liberté entre les interlocuteurs sociaux. Le risque est, ici, d’ajouter au cadrage économique sévère imposé par le gouvernement les clichés et raccourcis jetant l’opprobre sur les chômeurs et, finalement, sur l’assurance-chômage elle-même pour en favoriser la reprise en main par l’Etat !
Nous avons aussi dû rappeler que nous n’avions pas attendu le grand débat pour porter des analyses et revendications sur les grands thèmes qui y figurent. Ainsi, depuis plus de dix ans, FO a appelé à stopper la spirale des « réformes de l’Etat », des « révisions des politiques publiques (RGPP) », ou encore de la « modernisation de l’action publique (MAP) », menées à la seule aune de la « dépense publique », pour qu’une véritable réflexion parte des besoins dans la société d’aujourd’hui en termes de missions et services publics. Nous avions mis en garde aussi contre la réforme territoriale, qui a contribué à éloigner les lieux de débats et de décisions publics.